La transmission intraconjugale des baux entreprise

L’entreprise individuelle, qu’elle soit agricole, commerciale ou artisanale, fonctionne très souvent grâce à la participation du conjoint. Lors du départ en retraite de l’entrepreneur, le conjoint, s’il en a la capacité, doit pouvoir poursuivre l’activité, source principale des revenus du couple. Cette poursuite de l’activité est plus ou moins facilitée selon le secteur d’activité et le mode de conjugalité. Une harmonisation des règles de transmission intraconjugale des baux d’activité doit être recherchée.

Le bail est un élément essentiel de l’entreprise individuelle puisqu’il confère à son titulaire le droit d’exploiter. En l’absence de cotitularité légale des baux d’activité, la question de leur titularité est primordiale pour le couple. La réponse diffère selon le mode de conjugalité et la nature du bail. L’empilement de règles propres aux activités agricoles, commerciales et libérales conduit à s’interroger sur l’opportunité de mettre en place un bail conjugal d’entreprise.
Une diversité de législations applicables à la transmission intraconjugale du bail.
Seul le bail rural reconnait l’entreprise conjugale. Le bail commercial et le bail professionnel ignorent le particularisme d’une exploitation en couple.

La titularité du bail rural

Promoteur d’une agriculture de type familial, le législateur français a accordé au conjoint, puis au partenaire pacsé, les droits d’être associé et de continuer le bail rural. Cette cotitularité ou titularité successive peut receler des pièges dont les preneurs doivent être informés. Au préalable, la nature du bail rural doit être rappelée.

La qualification du bail rural de bien propre par nature a des conséquences sur la liquidation de la communauté. Ainsi, un corps de ferme acquis par un agriculteur marié sous le régime de la communauté réduite aux acquêts sans déclaration d’emploi ou de réemploi a été qualifié de bien propre au motif que le surplus de l’exploitation était constitué de terres exploitées en vertu d’un bail rural. L’accessoire a suivi le principal. La communauté a droit uniquement à une récompense. De même, l’indemnité due par le bailleur au preneur en fin de bail n’entre pas en communauté.

La titularité du bail rural emporte également le droit au renouvellement et le droit de préemption, justifiant la conclusion du bail aux membres du couple. A défaut, le titulaire peut associer son conjoint ou son partenaire à son droit au bail ou le lui céder.

La transmission du bail rural en cours d’union : association au bail et cession du bail

Le caractère intuiti personae du bail rural s’efface devant la famille. Le Code rural autorise le preneur à associer son conjoint au bail et également à le lui céder.

L’association au bail

L’article L.411-35 alinéa 2 du Code rural autorise le preneur à associer à son bail, en qualité de copreneur, son conjoint ou son partenaire pacsé participant à l’exploitation. Le concubin est exclu de cette faveur. Cette disposition propre au bail rural lui permet de transmettre progressivement les terres louées à son conjoint dans la perspective de sa retraite. L’association emporte adjonction d’un locataire. Elle est subordonnée à deux conditions : l’agrément du bailleur et la participation préalable du bénéficiaire aux travaux de l’exploitation.

L’agrément du bailleur- L’association au bail doit recevoir l’autorisation préalable du bailleur ou à défaut celle du tribunal paritaire des baux ruraux. L’autorisation du bailleur peut être expresse ou tacite. Le défaut d’autorisation préalable est sanctionné par la résiliation du bail. Cette sanction est extrême et injuste. A la différence de la cession du droit au bail, qui emporte substitution de locataire, l’association maintient en place le titulaire originaire. L’intuiti personae du contrat est préservé. Le preneur en titre continue d’exploiter et les garanties du bailleur sont augmentées. Au lieu d’un débiteur, il en a deux.

La nature du bail rural

Le bail rural, incessible consenti par le bailleur au preneur en raison de ses qualités, lui est personnel. Interdit de commerce juridique, son titulaire ne peut prétendre à un droit réel sur son exploitation. En conséquence, « le bail rural, strictement personnel, incessible et auquel est déniée toute valeur patrimoniale, ne saurait entrer en communauté ». L’époux, preneur unique, est seul titulaire du bail auquel est attaché un caractère personnel. Propriété et titularité se confondent. Pour le bail consenti à deux époux, ils sont titulaires communs d’un même bail, sans qu’il y ait à prendre en compte la qualité de conjoint ou le statut matrimonial. La jurisprudence a, malgré cette cotitularité du bail, toujours refusé son entrée en communauté. Il y a indivision entre les époux, chacun étant titulaire d’un bien propre par nature.

Le bail cessible hors cadre familial, librement cessible, et doté d’une valeur patrimoniale, doit être considéré comme commun s’il a été contracté pendant le mariage. Tout au moins, en tant qu’accessoire de l’exploitation agricole, il suivra la qualification de celle-ci. A exploitation agricole propre, bail cessible propre. Seule une récompense est due par l’exploitant à la communauté en raison du versement d’un pas-de-porte.

Etude rédigée par Emmanuel Clerget, président de la 1re commission
du 110e Congrès des notaires de France, notaire à La Charité-sur-Loire
et Corinne Dessertenne-Brossard, rapporteur de la 1re commission
du 110e Congrès des notaires de France, notaire à Paris.

Article paru dans La semaine juridique – notariale et immobilière,
6 juin 2014, n° 23.